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Focus sur l’album suédois contemporain
N’allez pas croire que ces quelques degrés sous zéro nous ont fait dire : « Tiens, puisqu’il fait froid, c’est le moment de sortir des rayons des livres venant d’auteur.ices et d’illustrateur.ices suédois.es ! Ce sera raccord avec le temps. » Non, dans les ouvrages que nous avons mis sur nos tables il est d’ailleurs peu question du temps qu’il fait, de grandes étendues neigeuses ou d’éléments naturels âpres, intimidants et majestueux. On y voit la neige parfois, on sent le vent froid du dehors dans les jambes, les montagnes sont hautes et blanches, mais ce n’est pas vraiment le sujet.
Dans La promenade du chat de Sara Lundberg, traduit par Jean-Baptiste Coursaud, publié chez Seuil jeunesse, on marche avec un jeune garçon et son chat, dans le quartier. Au premier chapitre c’est le garçon qui impose le chemin, au second ce sera le chat. Au premier chapitre, on voit la ville du point de vue du bipède : banale, tout au moins connue, ni trop hostile ni trop chaleureuse. Au second, le chat donne accès aux espaces de natures, sans fard, sans faux romantisme. Deux promenades, deux versions d’un endroit partagé.
Dans Trois de Per Nilsson et Lisen Adbåge publié aux Éditions de L’Étagère du bas et traduit par Marianne Ségol-Samoy, on apprend à compter, à blaguer et à connaitre Jonatan. On y apprend que Jonatan n’a pas 3 bras, mais 2 avec lesquels il aime faire de gros câlins. Il n’a pas non plus 3 nez, un seul lui suffit pour sentir l’odeur des crêpes dans la cuisine. Au rythme intrépide des pages, on finit par savoir ce que Jonatan a en 3.
La Blessure de Emma Adbåge, traduit par Catherine Renaud et publié chez Cambourakis, raconte une histoire de jeu dans une cour de récréation qui finit par une chute et une blessure. Comment l’adulte, comment le groupe, comment l’école, peuvent prendre soin d’une blessure ? Que peut ressentir un enfant qui touche au statut blessé ? Comment en sort-il ? Un album fin, qui déplie un évènement courant, voir anodin, sans craindre de proposer un chemin pédagogique et éducatif.
La formidable fête du Fourmilichien de Cecilia Heikkilä et le Musée des Esquisses, publié chez Cambourakis et traduit encore une fois par Catherine Renaud, s’inspire des animaux fabuleux du peintre suédois du début du 20ème siècle Isaac Grünewald. Pour une fête de charité au profit de la Croix Rouge, Grünewald a recouvert les murs et les sols de peintures d’animaux fantastiques sortis de son imagination. Les plus grandes peintures faisaient plus de 8 mètres de haut. Données au Musée des Esquisses par ses fils, les peintures y furent conservées. À partir de ces faits réels, Cecilia Heikkilä imagine comment toutes ces créatures peintes, endormies dans la salle des archives, vont retrouver goût à la vie et à la fête grâce au fourmilichien.
Un dernier livre et au lit ! de Frode Grytten et Mari Kandstad Johnson, toujours chez Camourakis et dont la traductrice est sans surprise Catherine Renaud, c’est l’histoire du livre que vont écrire un papa – qui refuse de lire un dernier livre – et sa fille – qui refuse de dormir sans un dernier livre – au moment du coucher. Elle veut un livre qui ne parle que d’elle. Avec amour, il va stimuler son imaginaire et le confronter au réel. Avec malice et fougue, elle va relever les défis, apprendre de tout ce qu’elle découvrira. On suit ce duo aux liens solides, jouer avec la puissance de la lecture, la force du rapport fiction/réel, sans oublier de profiter de l’apaisement que génère le livre.
Jonquerettes et Pâquilles de Pija Lindenbaum traduit aux éditions Cambourakis par Catherine Renaud, se déroule au milieu des montagnes dans une sortes de colonies de vacances délimitée par une ligne blanche. Les enfants sont séparés en deux castes - celle des Jonquerettes et celles de Pâquilles - et dirigées par une cheffe. Les Jonquerrettes profitent des plaisirs de la vie, tandis que les Pâquilles se contentent des corvées. C’est injuste mais la cheffe aime l’injustice. Par ennui de l’ordre établi les Jonquerettes vont proposer aux Pâquilles d’échanger leurs rôles sans se faire voir, puis peu à peu de se mélanger de plus en plus sans se soucier d’être vus. Un livre intelligent, sans culpabilisation et sans injonction, sur la désobéissance civile et l’autodétermination.
Ces albums possèdent de grandes qualités narratives : textes et illustrations sont riches et maitrisés, toujours articulés, au service du plaisir de lire. Contemporains, cherchant à dialoguer avec leur temps, ils proposent une version active, sobre, fantaisiste et déterminée de l’enfance. Il nous semble que ces albums considèrent l’enfance, l’estiment pour sa valeur, sans la sacraliser, sans s’empêcher de l’influencer. Quel que soit le temps qu’il fait.
Un article de Pierre-Nicolas Bourcier